mardi 29 juillet 2014

Bulles Varsoviennes?

Cet article fait suite aux Bulles berlinoises.

Avant la guerre, Varsovie était une ville très "multikulti". Voyez plutôt: Presque un tiers de juifs, de nombreux Allemands, Ukrainiens, Russes, Biélorusses. La cohabitation n'était pas toujours paisible, mais les minorités étaient reconnues par la Rzeczpospolita, que ce soit au Parlement ou au niveau des Voïvodies.




Après la guerre, le 100% polonais est devenu à l'ordre du joug communiste, à l'exception de quelques familles vietnamiennes venues prêter main forte. Le pays est ethniquement un des plus homogène au monde avec la Biélorussie. Aujourd'hui encore, il est rare de croiser un homme ou une femme de peau noire dans la foule blanche. 

Il y a t-il donc des bulles dans la capitale de la nation homogène? Oh que oui! Des bulles surtout polonaises, mais des bulles quand même:

Il y a les Varsoviens d'avant guerre, qui s'estiment véritables. Ils sont ceux dont la famille est restée dans les décombres ou a construit sa maison aux alentours, a l'orée de la forêt, à Izabielin, à Konstantin ou à Kabaty. Ceux dont le grand-père a lutté dans l'Armia Krajowa lors de l'insurrection. Il arrive aussi qu'ils ont la chance d'avoir possedé une villa des années vingt à Saska Kepa ou à Zoliborz et dont les murs tiennent encore. Dans ce cas, il faut s'adresser aux avocats spécialisés, lutter dans les tribunaux pour briser le décret Bierut, expulser les occupants actuels et reconquérir le jardin promis afin de lancer un juteux business immobilier.

Les Varsoviens quasi-véritables sont ceux qui se sont installés juste après la guerre. Trois générations, c'est tout de même suffisant non? Même si l'arrière grand-maman vient de Lithuanie, l'arrière grand-papa de Bavière, et que la plupart étaient paysans, ils sont les vrais citadins, les porteurs de flambeau de la Capitale avec un grand C. Après tout, nous sommes ici au centre de la vie culturelle et politique, n'en déplaise à Cracovie dont nous sommes terriblement jaloux, ville musée envahie de touristes, de conservateurs, et qui nourrit notre profond, royal et semi-conscient complexe d'infériorité.

Il y a l'immense masse d'immigrés provinciaux, venue étudier ou attirée par la quantité inouïes d'heures de travail disponibles (avec et surtout sans CDI), prête à braver les loyers les plus hauts de Pologne. Les Varsoviens véritables les qualifient de sloiki, autrement dit les jarres, car ils reviennent à la maison chaque weekend et font le plein de nourriture achetée/préparée par les parents pour remplir le frigo.

A Praga, le quartier de la rive droite peu detruit pendant la guerre, un dialecte rôde encore au coin de la rue. Celui du grand-père qui était saoul presque tous les jours, maladie malheureusement transmise jusqu'à son petit-fils, qui à son tour est devenu grand-père. Ce dernier observe les bouleversements dans son cher quartier de la rive droite. Mais que construisent-ils? Un métro? Mais que boivent-ils? De la bionade? De la bière régionale non pasteurisée aromatisée? Mais pourquoi rénovent-ils? Qui sont-ils? Les jeunes designers, architectes, artistes, journalistes, tous les homosexuels déboulent! Aux armes! Je ne rendrai pas ma bouteille si facilement, bande de morveux!

Pour se rendre au travail, il y a ceux qui préférent prendre la voiture, rester assis pendant une heure, coincé sur les avenues de la ville la plus embouteillée d'Europe: "Ah non, moi j'ai une voiture, désormais je me démarque, je n'ai plus besoin de prendre le métro ou le bus avec le peuple".

Il y a les hipsters de Charlotte, les hipster plutôt rive droite, les hipsters plutôt rive gauche. Ils essayent de faire mieux qu'à Paris et ne se rendent pas compte, qu'effectivement, ils font mieux qu'à Paris. Il y a les expats saxons qui se croient au paradis, ne parlent pas un mot de polonais depuis 10 ans et ne comprennent donc pas les railleries. Il y a les catholiques ultra, les ultra anti-catholiques, les fous nostalgiques de la varsovie d'avant-guerre, les fous nostalgiques de la PRL, les fous nostalgiques tout court, les avant-gardistes, les conspirationnistes. Bref, il y a les bulles varsoviennes.