mercredi 12 février 2014

L'Affiche à la polonaise

Le phénomène que l'on surnomme "l'école polonaise de l'affiche" est difficile à cerner. Né juste avant la guerre ou juste après ?  Se manifestant en pleine installation du régime communiste afin de masquer les véritables messages aux yeux des censeurs idiots? Serait-ce l'absence d'économie de marché qui permettait paradoxalement de s'affranchir des régles commerciales? Le manque de moyen dans une Varsovie en ruine? Ou bien, ne serait-ce qu'une collection de noms plus ou moins célèbres et qui n'ont en réalité rien en commun? Finalement, peu importe, intéressons-nous plutôt au résultat.



Ce qui réunit ces affiches, c'est d'abord un but primaire, celui d'attirer l'attention, d'émouvoir au premier coup d'oeil, afin de vendre des billets de cinéma, de théâtre et de concert, comme n'importe quelle publicité. Mais en Pologne, une créativité brute et sauvage vous saute au visage. Quelque chose s'empare de vos tripes, réveille en vous le souvenir des rêves les plus inavouables, des cauchemars les plus rampants. Bienvenue dans l'onirisme le plus forcené! Magritte n'a qu'à bien se tenir.



Presque toujours, le choix du dessin l'emporte sur la photographie, car les artistes refusent toute forme de réalisme, si ce n'est pour le tordre dans tous les sens. S'il y a des traits proprement nationaux qui définissent l'école polonaise de l'affiche, c'est certainement l'effroi et la mélancholie, tous deux issus des traumatismes collectifs. Je ne peux m'empêcher de comparer une telle influence avec la place qu'occupent l'atmosphère post-apocalyptique et les désastres naturels ou nucleaires dans l'art contemporain japonais. 

Souvent règne le minimalisme, atrocement efficace, comme dans cette représentation de Lisa Minnelli en croix gammée pour le film "cabaret".





La valeur et la popularité des affiches originales ne fait que monter...  Pour aller plus loin (non, pour l'instant restez assis!), je recommande:

- Google en tapant "polish posters" ou "polskie plakaty".

- Une compilation de titres internationaux repris par les artistes polonais sur allocine. http://www.allocine.fr/article/dossiers/cinema/dossier-18591493/

- Un documentaire de 40 minutes, "Freedom of the fence", qui a été projeté notamment au musée d'art moderne de New York, avec la plupart des grands noms actuels. Malheureusement, ce n'est pas gratuit (14$).
http://freedomonthefence.com/

- Le musée des affiches à Varsovie http://www.postermuseum.pl/

- Plus modeste, mon appartement obsédé et changeant, également à Varsovie, et qui s'encombre de ces affiches au fil des années (Me contacter en privé pour l'adresse).

mercredi 5 février 2014

La Vistule se glace

Je l'enjambe tous les matins à l'aide de Poniatowski, la majestueuse. Elle, qui parcoure la plaine pour relier les successives capitales. Elle, qui juste avant de se fondre dans la Baltique, se souvient de sa naissance, 1200 mètres plus haut, quelque part dans le sud montagneux. Regardez la liste d'enfantillages qu'elle a engendré! Krakow, Sandomierz, Warszawa, Włocławek, Toruń, Bydgoszcz, et enfin, la ville libre, celle qui a refusé les maîtres prussiens, russes et polonais pendant des siècles, Gdansk.

Malgré quelques autouroutes nouvelles, les villes et les rares ponts, rien d'humain n'a vraiment réussi à dompter la Vistule. Elle reste l'un des derniers fleuves sauvages d'Europe de cette envergure. Les rives se déplacent au gré des saisons, même en plein centre de Varsovie, où les passants japonais se demandent s'il s'agit d'une installation écologique révolutionnaire.

Au début de l'hiver, les plaques de glace glissent encore avec aise jusqu'au sel, puis au milieu, c'est l'embouteillage. Tout se fige sans klaxon.

Si indomptable que Varsovie semble s'en méfier, en retrait. Récemment encore, c'était glauque, peu fréquentable, un quai-escalier des années 50 en béton armé qui sert de dépôt aux bouteilles de vodka usagées. Mais les travaux, les premières péniches qui s'amarrent et les étés arides ont insufflé une vie nouvelle, ou plutôt oubliée. On quitte le bitume par les passages piétons, on emprunte les sentiers à travers les bois pour se rendre aux plages éblouissantes.



Pendant les deux mois étouffants, la Vistule devient alors la seule adresse possible.

jeudi 16 janvier 2014

(Très) Jeune musique Made in Poland

Au niveau musical, il s'en passe des choses en Pologne! Des jeunes groupes apparaissent partout, comme les champignons après une nuit d'averses en forêt de Poméranie. Difficile de suivre, de se rendre à chaque concert, de choisir à l'approche du weekend varsovien.

Parmi les plus récentes découvertes, "The dumplings" (en référence aux pierogi!) est sans doute la plus marquante. Ils ont 16 et 17 ans, sont encore au lycée, viennent de Zabrze, une des villes industrielles de Silésie. Ils font de l'électro-pop avec des accents 80's et 90's et chantent dessus! Leur premier album est prévu au printemps de cette année et en attendant, ils ont posté toutes leurs chansons sur Soundcloud.


"Stela Squat", est un groupe pas beaucoup plus âgé de Cracovie, formé autour la charismatique Stela, chanteuse et compositrice, alien des planètes électro, rétro et jazz réunies. Ils ont sorti leurs premières six chansons dans un album fait maison. C'est ici sur Soundcloud! Mes préférées: Stoje na rogu et Another Guy. Après les avoir vu lors d'un concert dans une des caves du quartier Praga, difficile de ne pas se repasser les chansons en boucle dans le cerveau-magnétoscope.



Sinon, déjà reconnu, mais aussi représentant de cette nouvelle génération, David Podsiadlo:




Encore? Oui, sur le conseil de Jasiek, 18 ans et qui s'apprête à consacrer sa vie à la scénographie théâtrale, le groupe "Oly", acoustique (avec des ukulélés!), plus doux mais intense.



Bref, la démocratisation de la création musicale grâce à des software comme cubase (ou simplement de l'envie) a du bon. Apparemment, ça bouge même chez les voisins en Biélorussie (Merci Seb!).

lundi 13 janvier 2014

Karl-Marx-Allee ou l'anti-alternative

Les immeubles imposants de la Karl-Marx-Allee ont une fonction première: celle de démontrer au petit promeneur son insignifiance, lui qui lève les yeux vers les phares éblouissants d'une époque révolue, bousculé par les bourrasques de couloir, forcé de s'incliner devant l'autel du temple. Autrefois Stalin-Allee, elle est la cousine germaine des monumentales Kiev, Saint Petersbourg, Minsk, et bien sûr l'antichambre de la capitale Moscou.

Assister seul au levant, réfléchi dans les milliers de carrés, dans l'axe de la Fernsehturm, est un voyage cosmique que seul Kubrik a réussi à reproduire sur pellicule. Ensuite, il est à la fois agréable et dérangeant de suivre du regard les tanks et les fusées fantômes qui continuent de défiler.




Est-ce sa nudité qui effraie les passants? Sont-ce les bruits autoroutiers? Peu importe la raison, la Karl-Marx résiste merveilleusement à la nouvelle Berlin. Ni modernisée comme les alentours du Hackescher Markt, ni gaie comme le quartier Freidrichshain qui la jouxte. Les nouveaux bars ferment vite leurs portes. Les rares promeneurs se pressent de se réfugier sous terre, dans une rame de la U5. Seuls les taxis l'empruntent volontier car ça roule vite.

Dans les blocs immuables se terrent les survivants de la véritable Berlin-Est. Peu de promoteurs, peu d'expulsions comme la mode le commande. Au contraire, les habitants de l'allée venteuse lisent encore Neues Deutschland, votent encore communiste et ne rénovent toujours pas. L'hospice géant ne dura sans doute pas éternellement...

Aujourd'hui, il reste encore quelques raisons de s'y rendre si on y habite pas: Le Kino International, palais du kitch élégant, ancien lieu des projections officielles où l'on glisse sur les confortables sièges, emporté par les vagues du plafond, visionnant les films les moins commerciaux du moment. Et le café Moscou, galerie à l'avenir incertain. Et peut-être que se rendre à la Karl-Marx-Allee est l'occasion de respirer une vivifiante brise anti-alternative entre deux sorties désormais ordinaires.



mercredi 4 décembre 2013

Le site de rencontres pour les Polonais catholiques

Il s'agit de przeznaczeni.pl littéralement, "destinés". Le site, qui revendique 360 000 utilisateurs, a ceci de particulier qu'il propose de décrire sur son profil "ses valeurs", en répondant aux questions suivantes:

Quelle est l'importance de la foi pour moi?


Quelle est mon orientation politique?


Quelle est mon attitude envers la contraception?


Quelle est la fr
équence de ma participation à la messe?

Mon attitude envers le divorce? 


Mon attitude envers les relations sexuelles avant le mariage?


Il convient également d'indiquer si on boit et si on fume beaucoup.


Le site pr
ésente ses succès: une galerie de photos de couples mariés (1289) et d'enfants...

De tels sites existent dans la plupart des pays européens. En France, iktoos.com et theotokos.com, mais avec un nombre bien plus réduit de participants! Article du Figaro de 2008

Mais je ne souhaite pas laisser l'impression d'une Pologne conservatrice et religieuse. Au contraire, elle bouillonne de d(ébats), de contrastes, entre la jeunesse qui s'amuse et le regard sévère des grand-parents, entre les libertés nouvelles et les devoirs.


vendredi 22 novembre 2013

"Kombinować" et "Załatwić": Quand les mots demeurent intraduisibles...

Certains mots, en quelques syllabes prononcées avec un sourire familier, permettent de décrire un pan entier de la culture d'un peuple. En polonais, c'est le cas des mots "kombinować" et "załatwić", dont le sens est à la fois, si précis et général, qu'ils demeurent intraduisibles dans une autre langue.

Kombinować 

On se sert du verbe kombinować quand il s'agit contourner un obstacle quelconque, de trouver une combine - mot parent comme tant de mots latins et francais passés dans la langue polonaise -. Ni vu, ni connu, kombinujemy (nous "combinons") en remplissant la feuille d'impôt, en réparant les canalisations d'une manière presque artistique, en obtenant une carte d'étudiant pour une année supplémentaire, en achetant le moins cher possible.
L'administration fiscale

Cherchez-vous un emploi? Hé bien faisons-nous confiance! Nous recrutons dans la famille et l'entourage. Nous enflons les CV, désormais si séduisants! Nous adaptons les contrats. Nous bouclons les comptes de l'entreprise de façon créative.

En anglais, une expression se rapproche de l'animal insaissable: to live by one's own wits! L'imagination, la débrouille au service de la vie quotidienne, ancrée dans les esprits, au risque de terrifier les voisins occidentaux, plus germaniques...

Mais ne vous méprenez pas, il n'y a rien de plus noble que de kombinować! Si votre parole est engagée, si vous avez promis à un ami quelque chose, alors tout se justifie afin de remplir vos engagements. 

Bref, kombinujemy!

Załatwić

Proche parent du signifiant précédent, załatwić peut se traduire par "régler le problème" ou "faciliter un processus" (l'adjectif łatwy signifie en effet "facile"). 

Załatwię to! est un engagement solennel à l'action, une parole donnée sans droit de retour.

Dans le contexte des parades pré-nuptiales, on peut également załatwić un rancart pour le compte d'autrui. Le verbe prend ici le sens de "l'arrangement" ou de "l'organisation" de la recontre.

Załatwmy go! "On va se le faire!" est cette fois, la promesse d'une joyeuse raclée destinéà un malheureux élu (ou le point de départ de l'organisation d'un très sobre assassinat!).

Bref, załatwmy!

Enfin, si vous utilisez les deux verbes à la suite, vous comprendrez l'essentiel de la mentalité polonaise:
Aby (Pour) załatwić, trzeba (il faut) skombinować!

mardi 12 novembre 2013

Redécouverte du modernisme de la PRL

L'actuelle Varsovie est profondément nostalgique du przedwojenna Warszawa ("Varsovie d'avant-guerre"). Expositions, photographies, projections de films, reconstitutions en 3D, musées, spectacles et restaurants mettent en scène un paradis perdu, au goût des années 20 et 30. Souvent, les nostalgiques s'efforcent d'oublier la période communiste, au point de ne jeter qu'un regard reducteur et méprisant sur quatres décennies de "PRL" (Polska Rzeczpospolita Ludowa, République Populaire de Pologne), pointant du doigt les blocs d'habitation à perte de vue et la domination du gris.

Heureusement, l'on s'est récemment souvenu que Varsovie était une ville bouillonnante de créativité des années 50 aux années 70.  Les projets risqués et futuristes qui devaient combler les immenses espaces vides de l'après-guerre, sont devenus les repères familiers des Varsoviens. Après avoir surtout discuté de leur possible destruction pendant les 90's, l'on discute aujourd'hui rénovation et transformation.

La gare centrale, dworzec centralna, de 1975 a été conçue comme un forum antique sous-terrain, exemple parfait du modernisme en architecture qui privilégie le fonctionnel et l'épure. On y entre et en sort de tous les côtés, empruntant des dizaines de tunnels remplis de commerces. Le concept du projet d’Arseniusz Romanowicz et Piotr Szymaniak était en avance par rapport aux projets similaires en occident. La gare, longtemps délaissée au point de devenir glauque et étouffante, a récemment bénéficié d'une rénovation qui la remet en valeur. 


Halle principale de la gare centrale

La Rotunda est le lieu ou l'on se donne rendez-vous dans le centre. Elle a été inaugurée en 1966. Abritant une banque nationale, drapée de réclames publicitaires, elle fait grise mine aujourd'hui. Cependant, elle est le sujet d'un concours d'architecture et sera prochainement complètement transformée. Vous pouvez suivre la sélection des projets et les résultats sur rotunda2013.pl
Rotunda


Parfois, sans subventions publiques et grâce à des initiatives privées, des lieux abandonnés peuvent devenir emblématiques, tel que Powiśle. Un ancien guichet de gare, ressemblant à une socoupe volante, situé sous le pont Poniatowski, a été reconverti en bar. Le lieu est envahi par des foules de plus en plus denses chaque été.
guichet de la station PKP Powiśle

Pourquoi ce regain d'intérêt pour l'architecture moderniste des années 60 et 70? Il s'agit sans doute pour la jeune génération d'après 89 de se réapproprier un passé qu'ils n'ont pas connu et qui devient de plus en plus abstrait, malgré les histoires contées par leurs parents. Il s'agit aussi de "faire avec ce qu'on a", d'accepter l'histoire d'une ville détruite et sa reconstruction.