mercredi 18 juin 2014

Bulles Berlinoises

Il existe sur la carte de l'Europe un point qui attire tous les naufragés du bien-paraître et du bien-être. Un point qui a traversé l'Histoire et les modes, les remises en cause et les années dorées, et qui sans doute, servira encore pendant de nombreuses décennies de boussole à ceux qui ont perdu le Nord.

Est-ce l'offre de toute ville grande et suffisament anonyme d'attirer les différents? Sans doute. Mais dans son histoire récente, Berlin a eu un argument de plus. A la fin de la seconde guerre mondiale, la ville et le pays sont divisés et administrés par les vainqueurs (comme en Autriche dont l'occupation prit fin dès 1955). La tension entre l'URSS et ses anciens alliés culmine en 1961 avec le début de la construction du fameux mur de Berlin, séparant la partie russe des autres zones. Plus qu'une séparation, il s'agit de la naissance d'une enclave en plein milieu de la RDA. Berlin-Ouest est alors uniquement relié à l'Allemagne de l'Ouest par une seule autoroute, véritable cordon ombilical.

Qui rêve d'habiter une enclave? Il existe de grands parcs, des forêts comme Gruenewald et le lac Wannsee pour respirer un peu. Cependant, ces quelques atouts n'attirent pas les foules. Les grandes entreprises ont déserté la capitale et les administrations publiques sont déjà installées à Bonn. Les autorités locales ont donc imaginé d'autres incitations à venir s'établir (ou plutôt à contenir les départs): Des avantages sociaux, mais surtout la possibilité d'échapper au service militaire! L'Allemagne rebelle a trouvé son île, avec ses figures du rock, sa créatitivité, son laisser-faire que nous n'avons pas connu.





Aujourd'hui, vivent en colocation différentes populations, chacune ne sortant discrètement de sa chambre que pour visiter la cuisine: Les Berlinois eux-mêmes, toujours prussiens dans l'âme, qui se terrent dans les quartiers les plus austères. Les Berlinois d'adoption, arrivés il y a cinq, dix, vingt ans et qui ne peuvent s'empêcher de former un groupe à part. Les pré-Berlinois qui viennent d'arriver et qui ne savent pas encore s'il resteront   quitte à accepter un travail qui ne leur plaît pas  ou s'ils s'envoleront vers d'autres cieux, aussitôt nostalgiques. Et bien sûr, la foule touristique, qui se bouscule les weekends car, oui Berlin est à la mode. Une vague qui ne fait que passer en été, telle la marée haute et se rétracte en hiver, laissant le sable jonché de bouteilles vides.

Quelles sont les bulles qui pulullent dans la même coupe et ne se croisent jamais? Les électros, les gothiques, les nationaux-socialistes, les marxistes, ceux qui boivent, ceux qui ne boivent que de l'eau pendant les vingt-quatre heures du Berghain, les Russes de Marzahn, les Vietnamiens de la deuxième génération (arrivée en RDA en tant que main d'oeuvre), les erasmus émoustillés, les étudiants bien habillés de la Technische Universitaet, les Wessies, les Ossies, les jeunes parents devenus bobos, les jeunes de Prenzlauerberg qui ne le sont pas encore, les designers, les artistes dépravés, les artistes reconnus, les consultants PR, les Américains qui délaissent Paris, les Polonais gays qui étouffent de catholicisme chez eux, les lesbiennes, trans, bis, hétéros ouverts ou non, les expatriés français, les expatriés bavarois, les Turcs de Wedding, les Turcs de Kreuzberg, les Coréens clairsemés, les SDF, les hartz IV,  les squatteurs de Friedrichshain, les squatteurs de Neukoelln, les dealers, les videurs, les promoteurs immobiliers, les nobles de Charlottenburg, les miséreux de Pankow, les think tankers à lunettes, ceux qui ne se préoccupent pas de géopolitique, ceux qui préfèrent le calme à Potsdam.

Finalement l'important, c'est que personne ne regarde l'autre de travers. L'important c'est que tout le monde s'en moque. Que chacun fasse ce qu'il veut, soit qui il veut, devienne qui il veut. Avec au bout de la Fernsehturm un risque: le risque de l'indifférence et le visage anonyme d'une grande ville, autrefois enclave rebelle. 

jeudi 17 avril 2014

Polonia ou la diaspora polonaise

Polonia est le terme qui désigne l'importante diaspora polonaise, comptant environ 20 millions d'individus polonophones à l'étranger. Il s'agit de l'une des plus importantes au monde, résultat d'une histoire nationale mouvementée, de vagues successives et variées. Pour comprendre la Polonia, il convient de lire les nombreux ouvrages sur le sujet, de la relier a l'Histoire européenne et mondiale, mais tel n'est pas le propos ici. Je compte tracer quelques lignes générales et y ajouter quelques blagues au goût discutable entre deux saillies éducatives.

Dans un premier temps, abordons la Polonia de ceux qui se sont retrouvés du "mauvais" coté de la frontière au gré des partitions et recompositions de l'Etat polonais: Près de 230 000 en Lituanie, 400 000 en Biélorussie et 140 000 en Ukraine sur les terres de l'ancienne Pologne-Lithuanie. En 2007, l'Etat polonais a créé la "karta polaka", qui octroie de nombreux droits aux membres de ces minorités: visas gratuits, droit de travailler en Pologne, d'y lancer une activité, accès gratuit au système éducatif, à l'assurance maladie et aux musées nationaux. Depuis, la colère des pays voisins est toujours aussi vive. En particulier les Lituaniens, dominés pendant des siècles par les rois de Pologne et qui se sentent encore menacés... Alors on se moque du voisin qui se prend un peu trop au sérieux et on réagit aux discours nationalistes avec humour (ne pas dire Wilno à Vilnius  :) ):



Ensuite, vient la Polonia forcée, celle qui a été deportée vers les camps de travail en Sibérie à l'époque soviétique. On dénombre 75 000 habitants qui se déclarent Polonais aujourd'hui en Russie. Le récent film "Syberiada" évoque cette histoire.



Mais la Polonia la plus importante, la plus répétitive dans l'Histoire, même recente, est la Polonia économique, celle qui est partie chercher du travail.

Au tournant des XIXe et XXe siècles, à l'époque de la révolution industrielle, les Polonais ont fait partie des grands mouvements migratoires. Aux cotés des Irlandais, des Italiens et des Allemands, ils ont peuplé l'Amerique du Nord. On estime aujourd'hui que vivent 10 millions de personnes issues de l'immigration polonaise aux Etats-Unis. Rien qu'à chicago, 1,5 millions déclarent être d'origine polonaise. 1 million de Francais ont également des origines dans les régions minières du Nord et l'Est. Cette immigration ancienne s'est souvent intégrée dans les sociétés d'accueil au point que seuls les grands parents parlent encore la langue maternelle.

Le dernier film du talentueux réalisateur new yorkais James Gray, The Immigrant, auteur des Little Odessa et The Yards, conte l'arrivée de deux soeurs, immigrées polonaises, à Ellis Island en 1920.



La seconde guerre mondiale a bien sûr provoque une très forte immigration juive-polonaise, vers les Etats-Unis et Israël.

Plus proche de nous, la chute de l'URSS et l'entrée en 2004 de la Pologne dans le le club de l'UE a incité de nombreux jeunes à partir tenter leur chance dans les pays anglo-saxons.

A tel point qu'en Irlande un sondage sur cette question a été realisé auprès des habitants:

Do you think that polish imigration is a serious problem?
35%: Yes, it is a serious problem
65%: Nie ma kurwa żaden problem*

En Angleterre, la langue polonaise est devenue la seconde du pays, devant les langues indiennes et pakistanaises. Ils seraient 637 000 selon les derniers chiffres. Plus de 500 000 en Allemagne. 

En 2008 et 2009, au moment de la grande crise financière, nombreux sont ceux qui ont décidé de retourner au pays. En effet, la Pologne moins dépendante des marchés financiers, disposant d'un solide marché intérieur et soutenue par les fonds européens a mieux résisté au choc que les économies plus développées. Cependant la tendance reste à une émigration continentale. 

Le contraste entre les différentes vagues d'immigration est saisissant à Bruxelles: Se côtoient  les descendants de miniers polonais devenus belges; une importante communauté venue de la région de Bialystok dans les années 70/80, l'une des plus pauvres de Pologne, travaillant le plus souvent dans le bâtiment et autres services ; et enfin, les nouveaux fonctionnaires de la Commission Européenne, roulant dans de confortables voitures neuves et investissant dans l'immobilier.

Quelques liens:

Rapport de 400 pages du Ministere des Affaires Etrangeres (2013)
http://www.msz.gov.pl/resource/b8b3993a-2df7-408b-a4c4-20b7ef465d34:JCR

Le site de la Polonia de New York City
http://www.polonia.net/

L'immigration polonaise des années 20 en France, par Alain Szelong
http://www.beskid.com/szelong2.html

Les mineurs polonais dans l’histoire de la France du XXè siècle : jalons, originalités, figures
http://ressources-cla.univ-fcomte.fr/gerflint/Pologne_SP2011/diana.pdf

Le sujet est si vaste.. N'hesitez pas a y contribuer!

mercredi 12 février 2014

L'Affiche à la polonaise

Le phénomène que l'on surnomme "l'école polonaise de l'affiche" est difficile à cerner. Né juste avant la guerre ou juste après ?  Se manifestant en pleine installation du régime communiste afin de masquer les véritables messages aux yeux des censeurs idiots? Serait-ce l'absence d'économie de marché qui permettait paradoxalement de s'affranchir des régles commerciales? Le manque de moyen dans une Varsovie en ruine? Ou bien, ne serait-ce qu'une collection de noms plus ou moins célèbres et qui n'ont en réalité rien en commun? Finalement, peu importe, intéressons-nous plutôt au résultat.



Ce qui réunit ces affiches, c'est d'abord un but primaire, celui d'attirer l'attention, d'émouvoir au premier coup d'oeil, afin de vendre des billets de cinéma, de théâtre et de concert, comme n'importe quelle publicité. Mais en Pologne, une créativité brute et sauvage vous saute au visage. Quelque chose s'empare de vos tripes, réveille en vous le souvenir des rêves les plus inavouables, des cauchemars les plus rampants. Bienvenue dans l'onirisme le plus forcené! Magritte n'a qu'à bien se tenir.



Presque toujours, le choix du dessin l'emporte sur la photographie, car les artistes refusent toute forme de réalisme, si ce n'est pour le tordre dans tous les sens. S'il y a des traits proprement nationaux qui définissent l'école polonaise de l'affiche, c'est certainement l'effroi et la mélancholie, tous deux issus des traumatismes collectifs. Je ne peux m'empêcher de comparer une telle influence avec la place qu'occupent l'atmosphère post-apocalyptique et les désastres naturels ou nucleaires dans l'art contemporain japonais. 

Souvent règne le minimalisme, atrocement efficace, comme dans cette représentation de Lisa Minnelli en croix gammée pour le film "cabaret".





La valeur et la popularité des affiches originales ne fait que monter...  Pour aller plus loin (non, pour l'instant restez assis!), je recommande:

- Google en tapant "polish posters" ou "polskie plakaty".

- Une compilation de titres internationaux repris par les artistes polonais sur allocine. http://www.allocine.fr/article/dossiers/cinema/dossier-18591493/

- Un documentaire de 40 minutes, "Freedom of the fence", qui a été projeté notamment au musée d'art moderne de New York, avec la plupart des grands noms actuels. Malheureusement, ce n'est pas gratuit (14$).
http://freedomonthefence.com/

- Le musée des affiches à Varsovie http://www.postermuseum.pl/

- Plus modeste, mon appartement obsédé et changeant, également à Varsovie, et qui s'encombre de ces affiches au fil des années (Me contacter en privé pour l'adresse).

mercredi 5 février 2014

La Vistule se glace

Je l'enjambe tous les matins à l'aide de Poniatowski, la majestueuse. Elle, qui parcoure la plaine pour relier les successives capitales. Elle, qui juste avant de se fondre dans la Baltique, se souvient de sa naissance, 1200 mètres plus haut, quelque part dans le sud montagneux. Regardez la liste d'enfantillages qu'elle a engendré! Krakow, Sandomierz, Warszawa, Włocławek, Toruń, Bydgoszcz, et enfin, la ville libre, celle qui a refusé les maîtres prussiens, russes et polonais pendant des siècles, Gdansk.

Malgré quelques autouroutes nouvelles, les villes et les rares ponts, rien d'humain n'a vraiment réussi à dompter la Vistule. Elle reste l'un des derniers fleuves sauvages d'Europe de cette envergure. Les rives se déplacent au gré des saisons, même en plein centre de Varsovie, où les passants japonais se demandent s'il s'agit d'une installation écologique révolutionnaire.

Au début de l'hiver, les plaques de glace glissent encore avec aise jusqu'au sel, puis au milieu, c'est l'embouteillage. Tout se fige sans klaxon.

Si indomptable que Varsovie semble s'en méfier, en retrait. Récemment encore, c'était glauque, peu fréquentable, un quai-escalier des années 50 en béton armé qui sert de dépôt aux bouteilles de vodka usagées. Mais les travaux, les premières péniches qui s'amarrent et les étés arides ont insufflé une vie nouvelle, ou plutôt oubliée. On quitte le bitume par les passages piétons, on emprunte les sentiers à travers les bois pour se rendre aux plages éblouissantes.



Pendant les deux mois étouffants, la Vistule devient alors la seule adresse possible.

jeudi 16 janvier 2014

(Très) Jeune musique Made in Poland

Au niveau musical, il s'en passe des choses en Pologne! Des jeunes groupes apparaissent partout, comme les champignons après une nuit d'averses en forêt de Poméranie. Difficile de suivre, de se rendre à chaque concert, de choisir à l'approche du weekend varsovien.

Parmi les plus récentes découvertes, "The dumplings" (en référence aux pierogi!) est sans doute la plus marquante. Ils ont 16 et 17 ans, sont encore au lycée, viennent de Zabrze, une des villes industrielles de Silésie. Ils font de l'électro-pop avec des accents 80's et 90's et chantent dessus! Leur premier album est prévu au printemps de cette année et en attendant, ils ont posté toutes leurs chansons sur Soundcloud.


"Stela Squat", est un groupe pas beaucoup plus âgé de Cracovie, formé autour la charismatique Stela, chanteuse et compositrice, alien des planètes électro, rétro et jazz réunies. Ils ont sorti leurs premières six chansons dans un album fait maison. C'est ici sur Soundcloud! Mes préférées: Stoje na rogu et Another Guy. Après les avoir vu lors d'un concert dans une des caves du quartier Praga, difficile de ne pas se repasser les chansons en boucle dans le cerveau-magnétoscope.



Sinon, déjà reconnu, mais aussi représentant de cette nouvelle génération, David Podsiadlo:




Encore? Oui, sur le conseil de Jasiek, 18 ans et qui s'apprête à consacrer sa vie à la scénographie théâtrale, le groupe "Oly", acoustique (avec des ukulélés!), plus doux mais intense.



Bref, la démocratisation de la création musicale grâce à des software comme cubase (ou simplement de l'envie) a du bon. Apparemment, ça bouge même chez les voisins en Biélorussie (Merci Seb!).

lundi 13 janvier 2014

Karl-Marx-Allee ou l'anti-alternative

Les immeubles imposants de la Karl-Marx-Allee ont une fonction première: celle de démontrer au petit promeneur son insignifiance, lui qui lève les yeux vers les phares éblouissants d'une époque révolue, bousculé par les bourrasques de couloir, forcé de s'incliner devant l'autel du temple. Autrefois Stalin-Allee, elle est la cousine germaine des monumentales Kiev, Saint Petersbourg, Minsk, et bien sûr l'antichambre de la capitale Moscou.

Assister seul au levant, réfléchi dans les milliers de carrés, dans l'axe de la Fernsehturm, est un voyage cosmique que seul Kubrik a réussi à reproduire sur pellicule. Ensuite, il est à la fois agréable et dérangeant de suivre du regard les tanks et les fusées fantômes qui continuent de défiler.




Est-ce sa nudité qui effraie les passants? Sont-ce les bruits autoroutiers? Peu importe la raison, la Karl-Marx résiste merveilleusement à la nouvelle Berlin. Ni modernisée comme les alentours du Hackescher Markt, ni gaie comme le quartier Freidrichshain qui la jouxte. Les nouveaux bars ferment vite leurs portes. Les rares promeneurs se pressent de se réfugier sous terre, dans une rame de la U5. Seuls les taxis l'empruntent volontier car ça roule vite.

Dans les blocs immuables se terrent les survivants de la véritable Berlin-Est. Peu de promoteurs, peu d'expulsions comme la mode le commande. Au contraire, les habitants de l'allée venteuse lisent encore Neues Deutschland, votent encore communiste et ne rénovent toujours pas. L'hospice géant ne dura sans doute pas éternellement...

Aujourd'hui, il reste encore quelques raisons de s'y rendre si on y habite pas: Le Kino International, palais du kitch élégant, ancien lieu des projections officielles où l'on glisse sur les confortables sièges, emporté par les vagues du plafond, visionnant les films les moins commerciaux du moment. Et le café Moscou, galerie à l'avenir incertain. Et peut-être que se rendre à la Karl-Marx-Allee est l'occasion de respirer une vivifiante brise anti-alternative entre deux sorties désormais ordinaires.



mercredi 4 décembre 2013

Le site de rencontres pour les Polonais catholiques

Il s'agit de przeznaczeni.pl littéralement, "destinés". Le site, qui revendique 360 000 utilisateurs, a ceci de particulier qu'il propose de décrire sur son profil "ses valeurs", en répondant aux questions suivantes:

Quelle est l'importance de la foi pour moi?


Quelle est mon orientation politique?


Quelle est mon attitude envers la contraception?


Quelle est la fr
équence de ma participation à la messe?

Mon attitude envers le divorce? 


Mon attitude envers les relations sexuelles avant le mariage?


Il convient également d'indiquer si on boit et si on fume beaucoup.


Le site pr
ésente ses succès: une galerie de photos de couples mariés (1289) et d'enfants...

De tels sites existent dans la plupart des pays européens. En France, iktoos.com et theotokos.com, mais avec un nombre bien plus réduit de participants! Article du Figaro de 2008

Mais je ne souhaite pas laisser l'impression d'une Pologne conservatrice et religieuse. Au contraire, elle bouillonne de d(ébats), de contrastes, entre la jeunesse qui s'amuse et le regard sévère des grand-parents, entre les libertés nouvelles et les devoirs.