jeudi 20 novembre 2014

Funky Koval: La BD culte polonaise

Dans les années 80, une série de bande dessinée connut un succès etonnant, marquant toute une génération et depuis considerée comme ce que la Pologne a produit de meilleur pour le 9ème art: Quatre tomes de Funky Koval, parus au compte goutte dans la revue de science-fiction Fantastyka. 


(couverture de la nouvelle edition)

Funky Koval est un détective d'une agence privée en 2082, voyageant d'une planète à l'autre afin de résoudre les énigmes les plus tortueuses. Son visage m'a fait penser un peu à celui de Henri Fonda. Désinvolte, baroudeur et funky (comme son nom l'indique),  il aime les belles filles et se tire des situations les plus périlleuses d'une manière élégante (ou pas du tout). Sa personnalité détonnante impose le rythme, entrainant le lecteur dans une course folle qui mêle humour, intrigues politiques complexes, coups montés, extraterrestres déguisés, batailles spaciales et planètes exotiques. L'univers ressemble à un croisement entre Star Wars et Blade Runner. Les dessins sont très beaux, précis, les teintes vives, façon Flash Gordon et les arrières-plans truffés de détails amusants et laissant imaginer un monde riche et flamboyant. J'ai particulierement aimé le design des vaisseaux, qui souvent ressemblent à des insectes.

La série a également un intérêt historique. Ecrite au debut des années 80 en Pologne, elle est déliberement impregnée de l'atmosphère de l'époque. L'Etat de siège, la police secrète, la censure, les mises en scènes, les masques, le futurisme de style soviétique, le cynisme et la bêtise des autorités. Tout y est...

Sans doute que je manque de culture SF pour l'apprécier à sa juste valeur. Ces quelques planches pourront néanmoins vous donner une idée.


Une scène onirique (à cause d'une puce espionne cousue au cerveau du héros...):

Trois compères sont à l'origine de la série. Au scénario Maciej Parowski, critique de science-fiction et directeur de la revue Fantastyka dans les années 90, et Jacek Rodek. Au dessin, Boguslaw Polch qui a souvent créé des story boards pour le cinéma polonais.




Redécouverte depuis peu, Funky Koval bénéficie d'une nouvelle édition qui regroupe les quatre tomes et que vous pouvez découvrir ici http://ksiegarnia.proszynski.pl/product,71649

Les droits ont été acheté par un produteur américain qui prévoit d'en faire un film de série B avec un budget de tout de même 37 millions USD.

La série a été traduite en anglais (il y a longtemps). Elle ne semble jamais avoir intéressé le marché français ou belge. Ce qui est bien dommage. Cet article se veut donc également une bouteille à la mer, lancée en direction des éditeurs de BD et de SF, français et belges. Regardez de plus près!

(Et je suis partant pour la traduction!)

dimanche 2 novembre 2014

Funestes archives

Très courte nouvelle publiée dans le contexte de l'initiative "Les auteurs SFFF ont du talent!", choisie en raison de son lien avec le sujet du blog.


Funestes archives

Dans le petit appartement berlinois, tout semblait avoir été laissé comme tel depuis une époque ancienne. La vieille pendule ne remuait plus pour indiquer l’heure, les photos de familles étaient jaunies, les rideaux prenaient la poussière et empêchaient l’air de se renouveler.

Un vieil homme lisait son journal du matin, assis dans son large fauteuil. Son visage ressemblait à celui d’une statue de marbre mal sculptée. Son crâne n’accueillait que quelques cheveux grisonnants. Ses mains, qui auraient pu être celles d’un ouvrier de mine, tournaient les pages froissées. Soudain, elles s’arrêtèrent un long moment.

L’émotion envahit le vieil homme quand il lut que les archives de la Gestapo s’ouvraient ce matin même au public. Ses paupières se fermèrent et une larme coula sur sa peau ridée.
Il se leva, poussa la porte d’un placard, prit sa veste et des chaussures. Avant de partir, il se pencha sur la commode de l’entrée. Il dirigea sa main tremblante vers le fond du premier tiroir et en sortit un petit cahier. Le caressant, il se tint immobile et pensif un instant. Puis il sortit de l’appartement pour se rendre au centre des archives.

« J’aimerais consulter les dossiers d’anciens amis morts pendant la guerre que possédait certainement la Gestapo, demanda t-il à l’accueil.
— Il n’y a pas de liens de parenté ? répondit un fonctionnaire.
— Non, ce ne sont que des amis, mais ils me sont très chers. Ils représentent pour moi sans doute plus que ma famille Monsieur… »
Le fonctionnaire hésita, mais face au regard plein de tristesse du vieil homme, il passa un coup de téléphone et la demande fut acceptée.

Un archiviste vint.
« C’est pour vous les dossiers ? ».
Le vieil homme acquiesça et le suivi. Ils prirent un petit escalier en métal qui menait aux caves. Arrivés en bas, ils empruntèrent des longs couloirs qui menaient à d’autres couloirs. La promenade entre les murs tapissés de piles de feuilles, de cartons et de fichiers n’en finissait pas. Enfin, l’archiviste s’immobilisa.
« À partir d’ici, commence le rayon de la Gestapo. Quel est le premier dossier que vous désirez consulter ? »

Le vieil homme pris son petit cahier, l’ouvrit à la première page et prononça le nom de « Abner. » L’archiviste s’avança un peu, parcourant de ses doigts les étagères. Il commença à fouiller dans un compartiment précis et trouva le dossier. Il en déversa le contenu sur une table. Le vieil homme croisa le regard sombre d’Abner sur une photographie.
« Ah… Ce cher Abner… soupira t-il. Je me souviens… Il venait d’un village perdu dans la forêt noire. Il en parlait sans cesse, de cette tranquillité, de cette nature si belle. C’était sans doute pour oublier les temps que nous traversions. Il rêvait d’y retourner pour y mourir de vieillesse. Mais c’était un syndicaliste très actif. Peut être trop… Il aurait du rester dans l’ombre. »

Puis il rangea le dossier et prononça un autre nom : « Gerhard ». La photographie en noir et blanc du dossier était celle d’une femme blonde au visage fin dont on pouvait presque voir la couleur des yeux.
« Cette femme était si belle. Un vrai gâchis. Elle était fière de son mari socialiste qui luttait contre la montée du nazisme. Si fière qu’elle le protégea quand les agents de la Gestapo firent irruption pour l’arrêter. Qu’elle était courageuse… »

Le suivant, Heiner, était un philosophe dont les écrits ne plaisaient pas au régime et dont le vieil homme honora la mémoire. Les noms issus du petit cahier se succédèrent : Lesebach, Martha, Steinman, Vergel, et bien d’autres. Et à chaque fois, l’archiviste put lire l’émotion sur le visage du vieil homme, écouter ses histoires et frémir à l’issue fatale de tant de destins. Piqué par la curiosité, il finit par demander :
« Mais comment avez-vous connu autant de gens à cette époque, que faisiez vous comme travail? ».
Le vieux visage se rapprocha tout prés du sien.
Les yeux brillants et avec une voix caverneuse, le vieil homme lui répondit :
« Je suis un ancien officier de la Gestapo. Ces gens, je les ai tous torturé et assassiné. J’ai tenu ce petit cahier à l’époque en y notant tous les noms par ordre alphabétique. »

Il baissa la tête et recula. Puis, il jeta un regard vers le couloir regorgeant de milliers de dossiers de la police secrète et, à la façon d'un officier, lança un nouveau nom à l’adresse de l’archiviste. 

N.B.: Un des premiers textes, jamais édité. Dans une veine plus fantastique, voir mon livre aux éditions Malpertuis.